A vous qui lirez ces lignes, je demande – parce que, pourquoi ne pas demander ? Nous ne nous demandons pas assez les uns les autres ; et pourtant, il y a tant à s’étonner de nos humanités :
Avez-vous déjà regardé le ciel en pensant qu’il était une toile tendue sur laquelle on avait peint ?
Qu’il était un couvercle bleu de théâtre ?
Avez-vous déjà pensé que nous étions des choses manipulées par de grandes mains – si grandes que nous ne les percevons pas – qui jouent avec nous comme des figurines d’enfant à qui l’on donne vie ?
Avez-vous déjà pensé que le verbe « bizouater » pourrait exister ? Qu’il pourrait signifier « couper un petit disque de coton en deux avec une paire de ciseaux exclusivement » ?
Avez-vous déjà pensé à la superficie qu’il faudrait pour stocker tous les biscuits que vous avez engloutis depuis que vous êtes en âge de vous en régaler ?
Avez-vous déjà pensé à écrire sur le plafond de votre salon les prénoms des personnes que vous aimez ?
Avez-vous déjà pensé à dire à un inconnu dans la rue qu’il était beau ? Beau, comme un roi ou comme un porte-manteau, mais beau, beau-juste-comme-il-faut ?
Avez-vous déjà pensé à honorer vos pieds qui vous supportent depuis toujours sans rechigner et vous mènent partout où vous voulez aller ?
Avez-vous déjà donné une caresse au vent pour le remercier de vous faire vous sentir vivant quand il s’emmêle dans vos cheveux alors que vous êtes perdu dans vos pensées ?
Avez-vous déjà pensé à rire alors que vous aviez envie de pleurer ? Juste une fois, pour essayer ?
Avez-vous déjà pensé à vous allonger sur le bitume et à demander à un enfant d’entourer votre corps à la craie pour pouvoir le colorier ?
Avez-vous déjà pensé à vous offrir des fleurs, sans motif autre que vous célébrer ?
Avez-vous déjà pensé que la vie, et la mort, n’étaient pas ce que l’on croit ? Que ces idées crépitent plus loin, et plus ardemment, que nos seules intuitions ?
Avez-vous déjà pensé qu’un poème pouvait sauver une âme en peine ? Que Rilke, bien qu’évaporé depuis longtemps, pouvait encore soutenir les vivants de maintenant ?
Avez-vous déjà pensé qu’il y avait un récit ? Un grand, commun, qui nous comprend tous, même si nous, ne comprenons pas toujours ses lignes ?
Avez-vous déjà pensé à tout recommencer ? A vous réinventer ?
Avez-vous déjà pensé qu’il était temps ? Temps de vivre, enfin, maintenant, absolument ?
Alexandra Lucchesi
0 commentaires